Symposium L’idéologie contre la politisation : des savoirs désactivés
Mercredi 22 juin,18h30-20h
Coordinatrice : Sophie Wahnich, directrice de recherche CNRS, historienne, équipe STEEP/Inria Grenoble et laboratoire PACTE
Intervenants et thèmes privilégiés dans les échanges
Les discours du GIEC, entre savoir, pouvoir et idéologie : ce que l’on met sur la table politique
Pierre-Yves Longaretti, chercheur CNRS astrophysique et science de la soutenabilité et des risques systémiques globaux, équipe STEEP/Inria Grenoble.
Gerhard Krinner, modélisateur du climat polaire, directeur de recherche CNRS à l’Institut des géosciences de l’environnement, Grenoble.
Les savoirs sur le nucléaire militaire
Benoit Pélopidas, fondateur du programme d’étude des savoirs nucléaires (Nuclear Knowledges), anciennement chaire d’excellence en études de sécurité à Sciences Po (CERI) (2016-2019). Il est également chercheur affilié au centre pour la sécurité internationale et la coopération (CISAC) à l’Université Stanford.
Violence et finance
Denis Dupré, enseignant-chercheur en éthique, finance et écologie, Laboratoires CERAG, STEEP (INRIA) Site : Crises et éthique de l’action, Université de Grenoble-Alpes.
Marc Chesney, professeur et directeur du Centre de Compétence en finance Durable à l’université de Zurich. Il est l’auteur du livre intitulé « La crise permanente », EPFL Press, 2020.
Site : https://marcchesney.com
Résumé grand public
Résumé scientifique
Les institutions de savoir, sont toujours implicitement menacées par des forces publiques qui peuvent mettre en doute ce savoir ou le détourner en fonction d’inquiétudes, d’émotions, de scepticisme, d’intérêts privés ou d’intérêts politiques. C’est particulièrement le cas lorsque les savoirs concernent en fait l’avenir global de l’humanité : savoirs sur le climat, le nucléaire et la finance.
Ces trois questions seront abordées de manière à montrer comment, soit la production du savoir lui-même, soit sa mise à disposition du public, soit son contexte de réception viennent témoigner de luttes d’intérêts qui érodent la capacité du savoir à éclairer le public et à aider par ses lumières à agir sur le monde.
Se fabriquent ainsi des scènes de conseils faits au prince, où se déploient soit un principe d’autorité du prince lui-même plus que de la science, soit une scène de réconciliation de la technique pratique et de la théorie de l’usage du monde car pour apprivoiser la vérité et le doute il faut produire des doctrines non exemptes d’idéologies.
Une place de savoir comme le GIEC (Groupe Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat
ou IPCC, Intergovernmental Panel on Climate Change) organisme international établi en 1988 sous l’égide de l’ONU et de l’OMM (organisation météorologique mondiale) de fait lutte pour éduquer, discipliner, ordonner l’opinion publique, en l’informant et l’alertant et ainsi elle offre un espace pour rendre présents les intérêts de la société monde.
Pierre Yves Longaretti et Gerhard Krinner nous parleront du fonctionnement du Giec et de ses groupes de travail (Groupe 1 : physique du climat elle-même (climatologie) ; Groupe 2 : impacts, adaptation, résilience (sciences de l’environnement autre que la climatologie, socio-économie, principalement) ; Groupe 3 : mitigation (économie principalement, sur le coût des mesures de réduction des émissions de gaz à effet de serre et le coût de l’inaction). Ils s’interrogeront sur la place des acteurs politiques dans la rédaction des résumés produits à l’intention des décideurs et sur les limites effectives de leur efficacité.
Il n’existe de fait pas un discours du GIEC, mais plusieurs : d’une part entre les rapports des groupes de travail et les résumés pour décideurs, ces derniers étant soumis à l’approbation des États, et donc en général moins-disant en comparaison des rapports complets. Les rapports (complets, de synthèse, mais surtout résumés pour décideurs) servent de base, directement ou indirectement, à différents discours : académiques, journalistiques, politiques et citoyens (ONG). La place occupée par les discours du GIEC comme institution d’expertise qui synthétise les savoirs, circonscrit ainsi un terrain complexe d’appropriation et de légitimité. Dans tous les cas ils souhaitent objectiver les manières de prendre les décisions.
Benoit Pélopidas abordera l’étude de la construction des savoirs au sujet des armes nucléaires, leurs fondements institutionnels, conceptuels, imaginaires et mémoriels. Cela passe par une redéfinition de la vulnérabilité nucléaire dans ses dimension matérielle, mais aussi épistémique et politique. Empiriquement, il se consacre aux cas ou l’emploi d’armes nucléaires a été évité de justesse, à la gestion des crises nucléaires et à l’histoire nucléaire de la France, il peut ainsi mettre en avant la contingence et l’incertitude des situations plus que la maîtrise constamment convoquée quand on parle du nucléaire et de ses dangers.
Denis Dupré partira de quelques exemples en finance pour montrer les violences induites qui ne sont pas dans le champ d’étude de la théorie financière. Il souhaite examiner le tabou de la violence dans nos sociétés hétéronomes et l’absence d’adaptabilité aux effondrements que cela induit. En effet pour le philosophe Cornelius Castoriadis, nous ne sommes ni dans une dictature ni dans une démocratie, mais dans une oligarchie libérale. Libérale au sens où tant que la propriété privée et le marché ne sont pas remis en cause, toutes les libertés sociétales peuvent être étendues. Oligarchique au sens où seule une part restreinte de la population influence les décisions prises. Pour Castoriadis, cette société est, comme la plupart des sociétés traditionnelles, de type hétéronome : c’est-à-dire qu’elle reçoit de l’extérieur les lois qui gouvernent les populations qui la composent. En conséquence, notre société ne fabrique plus ses lois sans passer par le filtre des tabous mis en place à sa création. Les sociétés hétéronomes ont en effet fixé dans un moment créateur des tabous puissants qui empêchent toute remise en cause et tout questionnement radical qui n’émane pas du pouvoir lui-même.
Marc Chesney traitera des thèmes suivants. Dans la cadre de l’actuelle économie financiarisée, le secteur financier a atteint un pouvoir extrême et insensé, contraire aux principes démocratiques supposés régir les sociétés occidentales. Les fondements de la politique financière, demeurent les mêmes, que les gouvernements soient de gauche ou de droite. La fortune et les revenus se concentrent toujours plus entre les mains d’une minorité infime de la population. Les grandes banques continuent à financer l’extraction d’énergies fossiles et la production d’armes de destruction massive, tout en se présentant comme responsables, voire vertes et durables… Elles prennent des risques démesurés, qui sont en dernière instance assumés par le contribuable. La finance académique, quant à elle, donne aux partisans du statu quo une caution supposée scientifique. Elle se base le plus souvent, sur des hypothèses erronées et des concepts fumeux, qui permettent aux faux-monnayeurs de la pensée de prospérer, à supposer qu’il s’agisse encore de pensées…
Résumé version grand public
Les lieux de production de savoir, comme les universités ou les laboratoires de recherche, cherchent à améliorer la connaissance. Cependant, les découvertes qui sont faites n’arrangent pas toujours tout le monde : ces découvertes peuvent inquiéter ou faire obstacle aux projets de personnes ou de pays. Pour se protéger, ces personnes ou ces pays décident de ne pas croire ou de modifier les résultats de recherches scientifiques. Cette attitude menace la recherche. Dans ce symposium, on s’intéresse en particulier
- au savoir sur le climat
- au savoir sur le nucléaire
- au savoir sur la finance
A chaque fois, on étudiera comment cette attitude de mise en doute se présente :
- dans la manière dont la recherche est menée,
- dans la manière dont on transmet les résultats à toute la population,
- dans la situation dans laquelle vit cette population. Cette situation (politique, sociale) facilite plus ou moins le fait que les gens acceptent le résultat de la recherche ou le refusent et le mettent en doute.
Savoirs sur le climat :
Pierre Yves Longaretti et Gerhard Krinner nous parleront du fonctionnement du GIEC. Ce groupe de scientifiques (de 195 États) est en charge de documenter le dérèglement climatique. Les résultats de cette recherche sont régulièrement communiqués au grand public. Pour cela, plusieurs rapports sont écrits :
- le premier est un rapport complet des travaux, écrit par les scientifiques seuls. Il est plutôt destiné à d’autres scientifiques.
- le second est un rapport de synthèse qui ne contient que les informations principales. Il est aussi écrit pas les scientifiques.
- le dernier est un rapport pour les décideurs. Il est écrit par les scientifiques mais, contrairement aux autres, ce rapport doit être validé par les États avant d’être publié. Ainsi, ce ne sont pas uniquement les scientifiques qui choisissent quelles informations principales mettre dans ce rapport. Les États ont le pouvoir de dire si telle information doit apparaître ou non.
Chacun de ces rapports est donc différent. Toutes les informations viennent des travaux des scientifiques. Mais les informations qui apparaissent ne sont pas choisies de la même manière. Selon le rapport sur lesquels les médias (journaux, télévision, radio, …) s’appuient ensuite, le grand public aura des informations différentes.
Savoirs sur le nucléaire :
Benoit Pélopidas parlera des armes nucléaires et de la manière dont la connaissance sur ces armes a été construite. Pour cela, il expliquera ce que signifie être fragile vis à vis du nucléaire en regardant 3 aspects différents :
- d’un point de vue matériel : les destructions que l’utilisation d’une arme nucléaire peut provoquer, le fait de posséder de l’armement nucléaire ou non, …
- d’un point de vue politique : ce que signifie l’arme nucléaire pour la relation entre les différents pays
- d’un point de vue de la connaissance scientifique
Pour illustrer cela, il prendra pour exemple des situations dans lesquelles la guerre nucléaire a été évitée de justesse et il parlera de l’histoire de la France. Alors qu’on entend souvent que l’arme nucléaire est maîtrisée, il expliquera que l’armement nucléaire est aussi source d’incertitude et de changements.
Savoirs sur la finance :
Denis Dupré parlera de la violence que la finance peut induire. Cette violence n’est pas étudiée par la théorie financière. Il nous expliquera pourquoi, selon certains philosophes, à cause de cette finance, nous sommes en “oligarchie libérale”. L’oligarchie signifie que seule une partie de la population influence les décisions. Le libéralisme signifie que la propriété privée n’est pas remise en cause et que de nombreuses libertés sont permises. Tout cela en fait une société “hétéronome” : c’est une société dans laquelle ce ne sont pas les citoyens qui font les lois mais plutôt d’autres principes. Ainsi, dans notre société, c’est la finance qui fait les lois plutôt que les citoyens.